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20 mai 2011

Ayad Dermoun, soutenu par Mustapha El Hamdani, de l’association Calima, se bat pour faire reconnaître ses droits.

L’ultime combat d’Ayad

Berger au Maroc, ouvrier agricole en Algérie, militaire en France, puis plâtrier et enfin soudeur à la SNCF , l’ex-boxeur amateur Ayad Dermoun se bat aujourd’hui pour que sa « tache », diagnostiquée dans un de ses poumons, soit reconnue comme une maladie professionnelle. Pour se soigner correctement dans le pays qu’il s’est choisi en optant pour la « liberté ». La France.

Ayad Dermoun, soutenu par Mustapha El Hamdani, de l’association Calima, se bat pour faire reconnaître ses droits. (Photo DNA - Jean-Christophe Dorn)

Ayad Dermoun, soutenu par Mustapha El Hamdani, de l’association Calima, se bat pour faire reconnaître ses droits. (Photo DNA - Jean-Christophe Dorn)

L’œil pétille, l’index dressé, Ayad Dermoun semble faire la leçon. L ’instant d’avant pourtant, c’est un silence pudique qui a accompagné sa plongée dans ses souvenirs : « Je suis né à Taza, au nord-est du Maroc, le 28 août 1933. Enfin, la date exacte… c’est l’administration là-bas qui le dit, on ne sait jamais vraiment », déclare enfin le vieil homme, cherchant un supplément d’assurance dans le regard de Mustapha El Hamdani, conseiller municipal, et travailleur social de l’association Calima (lire ci-dessous).

« Clint Eastwood »

« Je ne suis jamais allé à l’école », poursuit Ayad, en tentant de percer l’effet de sa confession dans le regard de son interlocuteur. « Ce qu’aucun professeur ne lui a jamais appris, la vie s’en est chargée », appuie son ami Mustapha, qui l’appelle « Clint Eastwood », « le cow-boy », en raison de sa posture, jambes légèrement arquées, cherchant le meilleur appui au sol, reliquat de ses années d’ancien boxeur amateur.

Chez les tirailleurs à Marseille

Les deux hommes se connaissent depuis quelques années, « suite à un travail photographique sur la mémoire des Chibanis, ou chibanias, un terme affectif désignant les aîné(e)s», raconte le responsable associatif.

Élégant, le « chibani » ne quitte son bonnet qu’au bout d’un long moment. Quand la confiance est installée, il quitte aussi sa timidité : réservé au départ, il devient affable : « Je suis parti dès l’âge de huit ans du Maroc pour travailler dans les champs près d’Oran, en Algérie. Avant j’étais berger au bled, on était agriculteur à la maison, sur une petite parcelle de terre. » Il devient ensuite aide-maçon, avant de s’engager dans l’armée, chez les tirailleurs à Marseille. En 1963, il recouvre les joies de la vie civile : « Vive la liberté, vive la France , vive la République », lâche-t-il en exhumant le parfum du souvenir. Et s’engage pour un tour de France dans des chantiers, dans le bâtiment comme maçon, puis comme plâtrier : Besançon, Le Mans, Reims, Dijon, Annecy, Lançon. Il se marie en 1966 dans son pays d’adoption. Puis arrive en Alsace à Haguenau en 1970.

Il entre à la SNCF en 1976 où il travaille dur à Bischwiller : « Un mètre de rail, c’est 50kg par personne. On posait 16 traverses par jour -avec des crics manuels au début- qu’il fallait souder ». Mais l’homme est dur au mal, c’est une force de la nature. Le soir, de surcroît, après avoir galéré, il enfile pourtant ses gants de boxe. Plus toujours au sommet de sa forme au moment de monter sur le ring, après des journées aussi physique.

Être traité comme les autres

Qu’importe, il a ça dans la peau. À son palmarès : « Trois victoires (deux par KO) sur 18 combats .» C’est peu. Il n’en a cure : « J’aimais bien », se souvient le poids léger ( 70 kg ), avec nostalgie.

À tel point que depuis 1994, lorsqu’il prend sa retraite et ce, « jusqu’à très récemment, on le voit régulièrement courir à travers la plaine des jeux de Hautepierre et inciter les jeunes à faire du sport ». En 2009, il obtient -enfin- la nationalité française, alors qu’il a vécu sa vie familiale et professionnelle dans son pays d’adoption.

Pourquoi si tard ? « Comme je ne savais pas lire, on me disait c’est bon, laissez, ça ira comme ça », explique-t-il. Résultat : « Il se retrouve aujourd’hui avec le minimum vieillesse : une pension de 704,73 euros avec une complémentaire de 31 euros. Et son dossier de retraite comporte plein de trous », indique Mustapha El Hamdani, qui tente de démêler les fils de l’écheveau administratif, en recherchant les patrons -certains sont décédés- pour obtenir ses feuilles de salaire.

« Il a gratté les traverses des chemins de fer, comme les autres agents de la SNCF », relève le président de l’association Calima, qui fustige « l’inégalité de traitement entre les nationaux et les personnes originaires des pays tiers ». Outre les indemnités de départ qu’il n’a jamais touchées, il a des difficultés pour se soigner correctement car en 2008, on lui détecte une tache dans le poumon, et qui n’est pas déclarée comme maladie professionnelle, ce qui le pénalise.

Ce combat-là, son ultime, l’ex-amateur du noble sport, âgé aujourd’hui de 77 ans et qui n’est plus au sommet de sa forme, n’est pas sûr de le gagner. Qu’importe, ça ne l’a jamais empêché de monter sur le ring. Avec la dignité du combattant.

Philippe D ossmann

 

Calima se bat pour l’accès aux droits

L’association Calima effectue un travail de terrain sur le vieillissement de l’immigration maghrébine et son accès aux droits sociaux. Le point avec Mustapha El Hamdani, président de Calim a .

Mustafa El Hamdani est conseiller municipal à Strasbourg. (Photo archives DNA )

-Qui sont les chibanis et quelles difficultés rencontrent-ils ?

-Mustapha El Hamdani : « Arrivés massivement en France dans les années 1950-1970 pour participer à la reconstruction du pays, ces chibanis sont des immigrés qui ont vieilli. Le débat sur l’intégration et leurs descendants a largement pris le dessus sur le sort des immigrés âgés. Les institutions ne s’y sont intéressés que suite aux sollicitations de ces gens, plutôt réservés, qui rencontrent des difficultés pour vivre au quotidien. »

- Pourquoi la reconnaissance de leurs droits pose-t-elle problème ?

- M. E. H. : « Pour c e s centaines de milliers de trava illeurs, il s’agit d’un parcours du combattant qui, ave c la loi sur la retraite, vont voir s’aggraver une situation déjà cruellement injuste. Nombre d’entre eux a ya nt eu des vies professionnelles chaotiques car entrés tard sur le marché du travail français, bien moins rémunérés pour des emplois souvent non « déclarés », n’ont pas toujours pu reconstituer leur carrière. »

- Ont-ils abandonné le rêve de retourner au « pays » ?

- M. E. H. : « A yant occupé les emplois les plus pénibles, ils ont connu de façon précoce des problèmes de santé liés aux conditions du travail et de séjour. D’autres ont été victimes d’accidents du travail ou de pathologies cancérigènes non reconnues du fait que leurs patrons n’ont pas versé les cotisations d’assurance. Et du fait d’une méconnaissance de leurs droits, ils sont perdus face à une législation tatillonne. Jetés parfois dans la rue dans la plus grande des précarités, ils n’atteindront jamais cet âge rêvé qui aurait dû être pour eux celui du retour au pays ou d’un repos bien mérité ».

«Assignation à résidence»

- Que deviennent-ils ?

- M. E. H. « Ces travailleurs immigrés sont usés, d’autant plus que c’est eux les premiers qui ont été touchés par le chômage de longue durée du fait de la suppression massive des emplois industriels dans les années quatre-vingt. Un grand nombre d’entre eux, pour lesquels le taux plein reste une chimère, solliciteront le minimum vieillesse, l’ASPA. Une sorte de RMI pour vieux travailleurs ayant cotisé insuffisamment. »

- Pourquoi dites-vous qu’ils sont « assignés à résidence » ?

-M. E. H. : « Non seulement, ils ne peuvent bénéficier de la retraite qu’à l’âge de 65 ans ; mais de plus pour y prétendre, ils se voient imposer une véritable « assignation à résidence ». En effet parmi les conditions d’obtention, il y a l’obligation de résider plus de six mois de l’année en France. Et donc de pouvoir y payer un loyer. Comment faire lorsque, placés en porte à faux entre le pays d’origine et la France , entre le désir de revoir sa famille au pays et celui de conserver ses habitudes dans le pays d’accueil, on est aussi confronté à l’impératif de ne pas perd re ses droits, notam ment aux soins médicaux ?

Disons-le, la réforme du régime des retraites aboutit à ne laisser aucun répit à des hommes et des femmes usés prématurément, subissant l’épreuve de l’exil alors qu’ils n’aspirent qu’à vivre dans la quiétude après avoir donné les meilleures années de leur vie à un pays, à une société qui bien souvent en retour pas ou peu de reconnaissance. »

Propos recueillis par Ph.D.

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