« Ces lois vont retarder la prise en charge des malades »
« Ces lois vont retarder la prise en charge des malades »
Par Marie Barbier le lundi 31 janvier 2011, 08:30 - Santé - Lien permanent
Le projet de loi Besson, qui sera discutée demain au Sénat, propose de limiter le droit au séjour des étrangers malades (lire ci-dessous). Les associations se mobilisent : « Mourir n’est pas moins pénible au soleil ! » disent-elles. Entretien avec Marie-Pierre Allié, présidente deMédecins sans frontières.
Après l’aide médicale d’État devenue payante, le gouvernement veut limiter le droit au séjour des étrangers malades. Quels sont les risques pour la santé publique de telles mesures ?
Ces lois vont retarder la prise en charge des malades. Il y a un risque en terme de coût : plus les personnes sont prises en charge tard, plus elles ont déjà développé des complications et ça revient donc plus cher de les soigner. Ensuite, il existe un risque de diffusion des maladies infectieuses. Les patients atteints d’une maladie contagieuse, qu’ils soient français ou étrangers, risquent de contaminer leur environnement. Plus tôt on les traite, mieux c’est.
MSF
a des missions dans les pays où ces étrangers risquent d’être expulsés.
Quelle différence faites-vous entre un «accès effectif» aux soins et
l’«indisponibilité» ?
Les textes actuels garantissent un droit au séjour pour les patients qui
n’ont pas réellement accès à un traitement dans leur pays d’origine. Il
faut que chaque personne, quels que soient ses moyens ou sa région, ait
accès à son traitement. Parler de disponibilité
n’a pas de sens. Par exemple, pour ce qui est du Sida en Afrique ou de
l’hépatite C en Asie centrale, les traitements sont accessibles mais pas
disponibles pour tout le monde. On est loin de la couverture
universelle ! Si on renvoie des gens sans traitement,
à terme, c’est la mort des patients. Ce qui est frappant dans toutes
ces discussions, c’est la suspicion qui pèse sur les malades. Le rapport
de l’Igas (Inspection générale des affaires sociale, NDLR), qui vient
de sortir, démonte cette idée reçue : non, les
étrangers ne pèsent pas sur le système de santé !
Quelle solutions préconisez-vous pour une meilleure prise en charge ?
Il faut conserver l’article actuel sur le droit à la santé des étrangers
malades. Ensuite il faudrait que les étrangers en situation irrégulière
puissent entrer dans le droit commun et bénéficier de la couverture
maladie universelle.
Menace sur le droit au séjour des étrangers malades
On croyait l’article 17 ter définitivement disparu du projet de loi
Besson. A tort. Le 19 janvier, la commission des lois du Sénat avait
supprimé cet article réformant le droit au séjour pour les étrangers
malades, mais un amendement du sénateur Louis Nègre
(UMP) l’a réintroduit dans les discussions qui commenceront demain au
Palais du Luxembourg. Jusqu’à présent une carte de séjour était délivrée
à un étranger souffrant de pathologie grave « sous réserve qu’il ne
puisse effectivement bénéficier d’un traitement
approprié dans le pays dont il est originaire ». L’amendement propose
de changer les mots : « qu’il ne puisse effectivement bénéficier » par
« de l’indisponibilité ». De la nuance de la langue française… Ce n’est
pas parce qu’un traitement est disponible,
qu’il est forcément accessible : son prix, son lieu de vente peuvent le
rendre hors de portée du plus grand nombre. Au Mali, le traitement
contre le VIH existe, mais seuls 20% des séropositifs y ont accès…
La sordide histoire d’Ardi, prélude à la loi Besson
Par Marie Barbier le lundi 31 janvier 2011, 08:30 - Santé - Lien permanent
A ses dépens, il est un exemple édifiant de l’inhumanité de la politique migratoire française. La réforme du droit au séjour pour les étrangers malades ? « On est en plein dedans ! Ce qui est arrivé à Ardi est un avant-goût de ce qui nous attend » tonne Pascal Wuttke, responsable mosellan de l’Association des paralysées de France (APF). Un amendement à la loi Besson sur l’immigration, discutée à partir de demain au Sénat, prévoit en effet la remise en cause du droit au séjour pour les étrangers malades. Autrement dit, si cette réforme aboutie, l’effrayante histoire d’Ardi ne sera plus une exception.
Ardi Vrenezi a quinze ans. Il est atteint d’une maladie dégénérative du cerveau et d’épilepsie avec un polyhandicap lourd. En 2008, ses parents, Kosovars, ont rejoint la France pour y faire soigner leurs fils. Ardi est pris en charge dans un centre pour enfants handicapés à Freyming-Merlebach, près de Metz. Son état s’améliore peu à peu. Jusqu’à ce fameux lundi 3 mai 2010. « Les forces de l’ordre sont venues le chercher à l’institut d’éducation motrice à neuf heures du soir ; à dix heures le lendemain matin, il était dans l’avion avec ses parents » se souvient Isabelle Kieffer, pédiatre d’Ardi au sein de cet institut. Immédiatement, un comité de soutien se crée. « Des amis, des voisins choqués » précise Pascal Wuttke. Ils sont rapidement rejoint par des associatifs, des hommes d’église et des politiques qui multiplient les manifestations pour exiger le retour d’Ardi. En vain. Le préfet campe sur ses positions : Ardi bénéficie «effectivement» des soins adaptés dans son pays, comme le prévoit la loi français. Une position également soutenue au plus haut sommet de l’État : la semaine dernière, le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy assurait encore dans une lettre que « la santé du jeune homme était compatible avec un retour dans son pays et la possibilité d’y recevoir des soins ».
Qu’en est-il réellement ? Ceux qui ont rendu visite à Ardi sur place racontent une réalité beaucoup plus tragique. « Il se rapproche de la mort, constate Isabelle Kieffer qui est allée le voir en décembre. Ardi a besoin d’un traitement global avec des soins quotidiens. La structure qui l’a pris en charge n’a ni les compétences, ni les services pour un handicap aussi lourd. Ardi passe ses journées allongé sur un matelas. Nous avons constaté une fonte musculaire, il n’arrive plus du tout à s’alimenter et ne tient plus debout ».
En juin dernier, la préfecture envoie une équipe médicale. Son rapport de mission suspectait une privation de soins « volontaire » dans le but d’un retour en France. « En réalité, ces médecins n’ont même pas examiné Ardi » déplore Isabelle Kieffer.
Autre aberration, suite à la mobilisation, le ministère des Affaires étrangères s’est engagé à payer le traitement médicamenteux d’Ardi (300 euros par mois quand le salaire moyen au Kosovo est inférieur à 200 euros), tout en continuant d’affirmer qu’il pouvait être soigné là-bas ! « Officiellement, ils ont dit pourvoir aux médicaments. En pratique, ils ne le font que si on les harcelle» précise Isabelle Kieffer, qui a rencontré Bernard Kouchner en juillet. Pour éviter les ruptures de traitement, l’APF envoie donc régulièrement des stocks.
Pour Pascal Wuttke, cette situation est tout simplement « insoutenable » : « Quand on regarde les textes de loi, il est clair qu’Ardi n’aurait jamais dû être expulsé ». Il ne désespère pas que le gouvernement revienne sur sa décision : « Il y a eu une erreur, il faut la réparer. Sinon, quid de la fraternité, l’un des fondements de notre République ? »
Article publié dans l'Humanité du 31 janvier 2011