Allocations suspendues pour 150 Marocains : ils ne passent pas assez de temps en France
Allocations suspendues pour 150 Marocains : ils ne passent pas assez de temps en France
Midi libre
Claude Casanovas
le 21/09/10
Publié
à 10 h 13 - La Caf a décidé de suspendre les allocations à des
retraités marocains (ils seraient 150) au motif qu'ils vivent dans leur
logement moins de 8 mois par an. Ne pouvant plus payer leur loyer, ils
sont menacés d'exclusion.
"Tous ces gens vont se retrouver à la rue. C'est avant tout un problème humain",
dénonce Me Chninif, l'avocat d'une dizaine de retraités marocains
résidant dans le quartier Saint-Jacques à Perpignan, actuellement
menacés d'expulsion de leur logement. Pour eux, l'histoire a commencé en
mai par une lettre émanant de la Caisse d'allocations familiales (Caf)
des P.-O. les informant que l'allocation logement, dont ils
bénéficiaient jusque-là, était suspendue et qu'ils
devaient
s'acquitter des sommes "indûment" versées depuis trois ans. Motif : la
réglementation prévoit que tout allocataire doit habiter son logement au
moins huit mois par an pour bénéficier de cette prestation. Or, "après vérification de votre dossier et des informations que vous avez fournies", précise la CAF, "il n'a pas été possible de déterminer que vous occupez votre logement de manière permanente".
"Un contrôle abusif"
"Mais
quels contrôles ont été effectués ? On leur a demandé de présenter
leurs passeports pour savoir à quel moment ils se trouvaient sur le
territoire français. Certains ont refusé. D'autres les ont fournis. Sur
quelles bases juridiques, la CAF a le droit de vérifier les entrées et
les sorties du territoire ? Il y a eu beaucoup d'abus c'est sans doute
vrai, mais là il s'agit aussi d'un contrôle abusif de la CAF dont ils
sont victimes. D'autant que ces contrôles visent actuellement, de
manière sélective, des retraités qui sont essentiellement d'origine
marocaine", ajoute l'avocat.
"Cette décision est
illégale et ne peut être qu'annulée. Ils doivent prouver qu'ils occupent
leur logement alors que c'est à la Caf de prouver le contraire". Et
Me Chninif de rappeler une délibération de la Halde (haute autorité de
lutte contre les discriminations et pour l'égalité) du 6 avril 2009 qui
avait estimé que des "décisions de la Caf prises dans des conditions
similaires, revêtaient un caractère discriminatoire fondé sur la
nationalité, prohibé par la Cour européenne des droits de l'homme." A
rrivés dans les années 70, la plupart des retraités concernés par cette
affaire travaillaient dans le bâtiment ou l'agriculture. Nombreux à ne
pas avoir été déclarés pendant très longtemps, ils n'ont pu prétendre à
la nationalité française, ni au regroupement familial. La plupart de ces
hommes vivent ainsi seuls à Perpignan, loin de leur famille restée au
pays, "tolérés" par leur seul titre de séjour renouvelée depuis
plusieurs dizaines d'années et touchant la maigre pensi on de retraite
(de 300 à 600 euros par mois) qui leur est due pour services rendus. Et
c'est bien là leur dilemme. Un des liens qui les retient sur le sol
français, au risque de ne plus rien percevoir s'ils repartent au
Maghreb.
"Avec cette seule pension et sans l'allocation
logement, ils ne peuvent plus payer leur loyer. Par conséquent, le
propriétaire se re tourne contre eux et les a assignés en justice", explique l'avocat.
"Où iront-ils ?"
Quelques-uns étaient convoqués la semaine dernière devant le tribunal
d'instance de Perpignan qui devait statuer sur la rupture du contrat de
bail sollicitée par le propriétaire. Le jugement étant immédiatement
applicable. Or, l'audience a été renvoyée au 29 septembre. Le temps,
espère Me Chninif que la commission de recours de la Caf qu'il a saisie
en juin, et qui doit se pencher sur le dossier ce mois-ci, annule sa
décision de suspension des aides au logement. "Ces gens n'ont même
pas conscience qu'ils risquent de se retrouver dehors, tellement cela
paraît surréaliste. Ils sont là depuis toujours. Où iront-ils ?"
Ceux-là, mais pas seulement... Car, après enquête, et à simplement
discuter avec les intéressés aux abords de la place Cassanyhes, on
s'aperçoit qu'ils sont bien plus nombreux à se promener dans le
quartier, un courrier de la CAF en main. Suspension de l'APL, du RSA...
Ils seraient 150 ressortissants marocains, voire plus, tous locataires
dans les quartiers Saint-Jacques et Saint-Mathieu, à être visés par une
mesure similaire. Une vague de retrait des allocations qui aurait été
déclenchée par l'enquête sur un vaste réseau de fraudes immobilières.
Alors pourquoi viser les seuls locataires ? Et surtout y a-t-il un
contrôle ciblé d'une certaine tranche de population ? La Caf, de son
côté, assure que "non" .
Laure MOYSSET (L'Indépendant)