Foyers de travailleurs migrants : un monde à part
publié le 10 septembre 2010
Construits dans l'urgence il y a 50 ans pour loger des travailleurs
originaires du Maghreb ou d'Afrique noire, les foyers de travailleurs
migrants ont mal vieilli. Suroccupation, logements délabrés, activités
"informelles"... ces structures restent encore souvent
des problèmes pour les villes concernées. Un rapport très riche du
HCLPD pointe l'urgence des besoins et appelle l'Etat à réaffirmer son
engagement sur cette politique.
Le 16e rapport annuel
du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) est
consacré à un sujet dont on parle rarement, les foyers de travailleurs
migrants (FTM). Ces structures, construites
pendant les Trente glorieuses pour loger les travailleurs venant du
Maghreb ou d'Afrique noire, ont longtemps été à la marge des villes.
Construits à la hâte, avec des conditions de confort déjà inférieures à
celles en vigueur dans les années 1960, ces bâtiments
ont très mal vieilli. En 1997, un plan de traitement a donc été
élaboré. Mais treize ans plus tard, en dépit du milliard d'euros engagés
dans ce programme, seulement un tiers des 680 foyers du territoire ont
été rénovés. Ces réhabilitations (parfois démolition-reconstruction)
ont pu être menées grâce à l'implication, aux côtés de l'Etat et du 1%,
des collectivités territoriales qui s'impliquent de manière croissante
sur ce dossier. Le HCLPD, présidé par Xavier Emmanuelli, constate que
des progrès ont effectivement été accomplis.
Mais, dénonçant des conditions d'accueil encore parfois inadaptées,
voire indignes, il ne "peut se satisfaire du rythme actuel de la
mutation". Il appelle donc à "prendre la mesure de l'urgence des
besoins". 120.000 à 150.000 personnes vivraient aujourd'hui
dans ces foyers… soit l'équivalent de la population de villes comme
Tours, Clermont-Ferrand ou Brest.
Une population qui se diversifie et dont les besoins évoluent Au préalable, il faut
distinguer deux catégories de foyers : premièrement, ceux occupés par
les travailleurs maghrébins arrivés dans les années 1950-1960. La
plupart de ces hommes ont travaillé dans le bâtiment
ou la métallurgie, et sont aujourd'hui à la retraite. Ils habitent
toujours le même foyer et font des allers-retours dans leur pays
d'origine. Le principal problème de ces structures n'est pas leur
suroccupation mais leur inadaptation au vieillissement. Deuxième
type de foyers, ceux occupés par des travailleurs subsahariens, arrivés
souvent après les indépendances africaines. Situés principalement en
Ile-de-France, ceux-ci sont surpeuplés, occupés par des hommes en
moyenne plus jeunes qui travaillent dans les services
(nettoyage industriel, restauration…). Dans ces structures, sont menées
diverses activités informelles, par exemple de restauration collective.
Ces cantines servent des repas au quotidien à une clientèle qui va
au-delà des résidents du foyer. Ces dernières
années, un nouveau public a été accueilli en FTM : en cas de départ –
donc essentiellement dans les foyers maghrébins – les places ont été
utilisées pour héberger des demandeurs d'asile (centres Cada) ou des
personnes sans abri (hébergement d'urgence).
Entre hébergement et logement, les FTM constituent un monde à part Les FTM ne relèvent ni
du logement social classique ni de l'hébergement mais du "logement
accompagné". 60% du parc appartient à la société d'économie mixte Adoma,
qui gère elle-même ses structures. Dans le reste
du parc, il y a généralement dissociation entre le maître d'ouvrage
(souvent un bailleur social) et le gestionnaire (souvent une
association). Depuis 1995, tous les FTM ont vocation à se transformer en
résidences sociales. Cette structure juridique se définit
par un bâti répondant aux normes actuelles (salubrité, décence, mais
aussi accessibilité aux personnes handicapées) et par un accompagnement
social des résidents. Depuis dix ans, un tiers des FTM ont été
transformés en résidences sociales : en général après
travaux, parfois démolition-reconstruction. Mais les besoins de
restructuration des FTM restent "considérables" selon le HCLPD. Ces
opérations sont difficiles à monter pour plusieurs raisons : d'abord,
comme il s'agit d'augmenter les surfaces habitables
- certaines chambres font encore 4,5 m2 -, il faut trouver des terrains
pour construire de nouveaux bâtiments ("des sites de desserrement").
Ensuite, il faut convaincre les résidents : or, alors que les anciens
foyers coûtent souvent entre 150 et 300 euros
par mois, l'amélioration du bâti conduit mécaniquement à une
augmentation des redevances. Sans même parler du fait qu'il faut trouver
un accord sur la question des "salles polyvalentes", c'est-à-dire des
lieux de prière.
Des collectivités de plus en plus impliquées Et naturellement, il
faut enfin trouver des financements. Mais, pour Christian Nicol,
directeur de l'habitat et du logement à la ville de Paris, c'est
paradoxalement "presque le plus simple" : "Il y a tellement
de questions techniques, politiques et sociales à régler sur ces
dossiers, que le plus difficile n'est pas le financement." Pierre
Mirabaud, président d'Adoma, nuance ce propos en soulignant combien il
est difficile d'équilibrer ces opérations. Pour tous les
opérateurs en la matière, le tour de table est bouclé souvent grâce aux
collectivités territoriales. La délégation des aides à la pierre a joué
un rôle d'"accélérateur dans les programmes", a indiqué le président de
l'Unafo (Union des professionnels de l'hébergement
social). De plus en plus, les plans départementaux d'action pour le
logement des personnes défavorisées intègrent les FTM, et les
collectivités subventionnent les travaux. Indispensable pour mener à
bien des opérations de réhabilitation ou reconstruction,
l'implication des collectivités est également essentielle pour que les
résidents soient des citoyens de la commune à part entière, et qu'ils
puissent faire reconnaître leurs droits.
Et l'Etat ? Le HCLPD énonce vingt
propositions "pour mener à bien l'adaptation physique des FTM à
l'évolution des besoins", "prendre en compte les besoins des vieux
travailleurs migrants" et "clarifier le positionnement
du logement accompagné dans l'offre de logement social". Il demande en
particulier la réaffirmation par circulaire de l'engagement de l'Etat
dans le plan de traitement. Pierre-Yves Rebérioux, responsable de la
commission interministérielle pour le logement
des populations immigrées, a indiqué que la politique gouvernementale
en la matière ne se résumait pas aux crédits du 1%, qu'il était
important d'assurer un pilotage national du plan de traitement, fixant
des priorités par exemple sur la rénovation des 20.000
chambres de moins de 7.5 m2. Or, ces priorités ne sont pas toujours
faciles à énoncer : "Comment dire à un élu de province qui souhaite
réhabiliter son FTM que les chambres de 10 m2, l'Etat l'aidera à les
rénover dans vingt ans, une fois les plus petites traitées
?" Hélène Lemesle
Référence : "Du foyer de travailleurs migrants à la résidence sociale :
mener à bien la mutation", 16e rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, juillet 2010.